mise en ligne le 30 octobre 2005
mise à jour le 7 mai 2024
Comment s’adresser à
un malade présentant des troubles cognitifs sévères ?
Mise en garde : il existe un risque de sous-estimation
des capacités de compréhension et d’expression des personnes auxquelles nous
nous adressons. Cette situation peut être très défavorable à l’image que la
personne se fait d’elle-même. Aussi, ce type de langage doit être proportionné,
adapté aux capacités de notre interlocuteur-trice.
Texte rédigé par l'auteur de ce site en s’inspirant des
publications de Small JA. (Small JA, 2002, 2003, 2004 et 2005) ainsi que celle
de Rousseau et Gatignol (Rousseau, 2013).
Tout d’abord s’assurer de l’absence d’obstacle sensoriel à la
compréhension et à l’expression : absence indue de lunettes, de prothèse
auditive ou dentaire.
Small et al. étudient le langage et
la communication dans la maladie d'Alzheimer en observant et évaluant sur le
terrain les stratégies utilisées par les aidants. Je me suis inspiré
essentiellement de ces études pour préciser notre propre attitude dans ces
situations.
1. Éliminer les facteurs de distraction, par exemple la
télévision ou la radio. Au mieux, le dialogue aura lieu seul à seul dans une
chambre ou un bureau. Se mettre à la place du patient pour essayer de le
comprendre.
2. S'approcher du patient lentement et de face, créer et
maintenir un contact visuel avec le regard du malade. Pour ma part, je me place
de préférence au même niveau que lui, le plus souvent en position assise. Mon
visage est éclairé par la lumière. Il convient aussi de rester dans le
champ visuel de la personne interrogée. Pour cela, il faut se situer au mieux
au centre du champ visuel présumé. En effet, le rétrécissement du champ visuel
se combine souvent aux difficultés de rotation du rachis cervical. Lorsque le
patient est alité, il convient de veiller à ce qu'une oreille ne soit pas
obstruée par l'oreiller ou par le traversin. En cas de troubles de la
reconnaissance des visages, nommer la personne non reconnue sans faire de
reproche au patient. Mieux, la situer dans l'histoire du patient, en précisant,
par exemple que : "c'est Paul, le fils de tante Marie" (Rousseau,
2013).
3. Utiliser des phrases simples et les plus courtes
possibles, comportant les mots les plus simples. Les questions positives sont
mieux comprises. Par exemple : "avez-vous mal ?" plutôt que
: "n'avez-vous pas mal ?" Si la personne ne comprend pas,
s'aider d'un livre, d'un dessin, d'une photographie. Ne pas penser a priori que
le patient est incohérent. Ne pas utiliser un langage
infantilisant (Rousseau, 2013).
4. Poser une seule question ou ne donner qu'une seule
instruction à la fois. En pratique attendre la réponse avant de poser une autre
question.
5. Poser des questions fermées qui appellent une réponse par
"oui" ou par "non". Si l'on doit recourir à des
questions ouvertes, celles qui font appel à la mémoire sémantique sont mieux
comprises que celles qui se rapportent à la mémoire épisodique (Small JA,
2005).
6. Répéter les messages en utilisant les mêmes mots, mot à
mot, en articulant bien. Pour résumer, le langage du "prêtre dans son
église" me semble opérant.
7. Reformuler les messages en utilisant des paraphrases
(selon l'Encyclopædia Universalis
2004, pour notre propos, "paraphrase" : développement explicatif
d'un texte, amplification verbeuse d'un texte, synonyme). Par exemple, cette
situation est fréquente en cas de soupçon de dyspnée : "Êtes-vous
essoufflé(e) ?", question souvent mal comprise, doit être substituée par
"manquez-vous d'air" ou encore "avez-vous du mal à respirer
?"
8. Éviter d'interrompre le sujet et lui accorder tout le
temps nécessaire pour répondre.
9. Encourager le sujet à approcher verbalement ou à décrire
le mot qu'il est en train de chercher, encourager les circonlocutions (selon l'Encyclopædia Universalis 2004,
"circonlocution" : façon de parler par périphrases, de manière
indirecte. "Périphrase" : remplacement d'un mot par une
expression ayant le même sens, façon d'exprimer sa pensée de manière indirecte.
10. Parler lentement. Cette attitude semble toutefois moins
performante que la répétition et l’utilisation de paraphrases (Small JA, 2003).
11. Joindre le geste à la parole, par exemple en désignant du
doigt une zone suspecte de douleur.
A tort ou à raison, je tente d'imiter l'accent du résident
quand il en possède un, par exemple celui de Paris (chacun sait que nous
n'avons aucun accent dans le Sud de la France).
Les stratégies qui ont montré selon Small une amélioration de
la communication sont l'élimination des éléments de distraction et la
simplification de la structure de la phrase et des questions. Ces attitudes
s'apparentent aux échanges verbaux en français lorsque notre interlocuteur ne
maîtrise pas notre langue et que nous ne maîtrisons pas la sienne. A
déconseiller aux personnes pressées ou impatientes.
Ces données sont un argument supplémentaire en faveur de
l'EVS (échelle verbale simple utilisant des qualificatifs) dans l'évaluation de
la douleur.
Bibliographie :
Rousseau T, Gatignol P. L'apport de
l'orthophonie in : Alzheimer. Vivre avec la maladie et la comprendre.
L'ESSENTIEL. Cerveau et Psycho. Février-Avril 2013.
Small J. A. Langage et communication dans la maladie
d'Alzheimer in Maladie d'Alzheimer et déclin cognitif. Serdi
édition, 2002, pp 141-146.
Small JA. Stratégies de communication dans la prise en charge
d'un patient atteint de maladie d'Alzheimer : recommandations et mises en
application. In Maladie d'Alzheimer et déclin cognitif. Recherche et pratique
clinique. Volume 9. Edition Française. Serdi
Edition, Springer Publishing Company, 2004, pp188-92.
Small JA,
Gutman G, Makela S, Hillhouse B. Effectiveness of communication strategies used
by caregivers of persons with Alzheimer's disease during activities of daily
living. J Speech Lang Hear Res. 2003 Apr;46(2):353-67.
Small JA,
Perry J. Do you remember? How caregivers question their spouses who have
Alzheimer's disease and the impact on communication. J Speech Lang Hear
Res. 2005 Feb;48(1):125-36.
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