mise en ligne le 26 juin 2009

mise à jour le 4 janvier 2015

 « Ce qui rend la pauvreté si dure, ce ne sont pas les privations, c’est la promiscuité »

Marguerite Yourcenar

Alexis ou le Traité du vain combat

Conséquences de la promiscuité et de l’exiguïté sur la qualité des  soins : le problème de la cohabitation dans la même chambre.

Définitions

La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.[1]

La promiscuité peut se définir comme un voisinage gênant pour l'intimité.[2] Quant à elle, l’exigüité caractérise « ce qui est exigu, de dimensions insuffisantes (l'exiguïté d'une maison) » [3].

Introduction

Les difficultés de prise en charge et d’accompagnement des personnes âgées fragiles s’inscrivent dans la relation à la définition de l’OMS citée ci-dessus. Non seulement les résidents des services de Soins de Longue Durée (SLD)  et des EHPAD [4] souffrent de maladies et d’infirmités, mais ils peuvent se trouver dans des situations environnementales qui compromettent leur bien-être. Certains facteurs délétères ne peuvent pas être corrigés aisément. Il n’en est pas de même pour les gênes que nous abordons ici.

En pratique, il est impossible d’ignorer le contexte dans lequel le soin se réalise : l’environnement fait étroitement partie de la qualité de vie.

La question posée est la suivante : la promiscuité et l’exigüité sont-elles compatibles avec des soins de qualité ? En quoi ces situations compromettent-elles le bien-être des personnes âgées, en particulier de celles qui souffrent de troubles cognitifs et affectifs ?

I- Etat des lieux des services de SLD en 2003

A- La proportion des chambres individuelles est encore notoirement insuffisante [5] :

Chambres individuelles en Soins de Longue Durée

Enquête nationale française EHPA 2003

61 % soit 56% de résidents en chambres individuelles

Par ailleurs, les chambres existantes sont souvent exiguës et ne permettent pas de se mouvoir aisément. Enfin, le mobilier qui y est présent n’est pas adapté à la clientèle hébergée et encombre inutilement la chambre ; c’est le cas des téléviseurs de l’ancienne génération, de gros volume, qui ne trouvent pas toujours leur place logique en hauteur. Sans compter avec des meubles inadaptés dont les angles sont potentiellement dangereux.

B- La proportion des W-C dans les chambres est encore insatisfaisante :

Taux de chambres équipées de WC

Enquête nationale française EHPA 2003

90 %

L’obligation de se retrouver nu devant un voisin inconnu, voire de subir sa présence sous des formes variées, est liée à l’insuffisance de chambres individuelles et de salles de bains dans les chambres.

Ceci crée une situation d’indignité.

II- Analyse des situations liées à la cohabitation forcée dans la même chambre

A - Inconvénients liés à la présence d’un voisin de chambre

1- Des nuisances liées à la présence d’un voisin de chambre

a) les agressions psychologiques

Un voisin peut discrètement exercer une pression psychologique permanente sur vous.

Il n’est pas forcément agréable de voir et d’entendre son voisin de chambre faire ses besoins, en particulier dans les chambres dépourvues de W-C. L’analogie avec l’état actuel de nombreuses prisons ou avec un passé honteux est flagrante.

La famille de votre voisin peut être bienveillante. Mais elle peut aussi se placer en position de défendre son parent contre vous de manière plus ou moins justifiée.

Il n’est pas forcément agréable de voir, d’entendre et de sentir un voisin en souffrance et a fortiori qui se meurt.

Les interactions négatives sont fréquentes : la proximité d’un voisin anxio-dépressif n’améliore pas la santé mentale des personnes âgées, bien au contraire ; par contre il est rare d’observer des interactions positives tant la fragilité des résidents est grande et leur interdit une action notable de soutien de leur voisin de chambre.

De plus, la jalousie est fréquente quand les soignants sont amenés à établir une relation, même professionnelle, avec le voisin de chambre.

b) les agressions physiques

Un voisin dément peut prendre votre nourriture ou vos médicaments. Plus grave : il peut vous frapper ou encore vous pincer ou vous maltraiter d’autres manières sans que vous puissiez réagir. Certes, cette situation n'est pas totalement spécifique à la chambre collective. Elle peut se produire aussi dans les espaces communs. Toutefois, elle devient plus facile et surtout plus cachée lorsque les deux résidents sont dans leur chambre, le plus souvent hors de la vue des soignants.

c) les agressions par des agents physiques

- le froid et le chaud

La fenêtre que vous que vous ne souhaitez pas ouverte, la porte ouverte ou fermée qui vous indispose ou indispose votre voisin : ce sont des écarts de température que vous ne pouvez pas réguler vous-même si votre état mental ou physique ne vous le permet pas.

- le soleil et la lumière :

Vous voudriez voir un store fermé ou ouvert à l’inverse de votre voisin. De même pour la fenêtre qui vous éblouit sans ses rideaux ou pour la lumière artificielle que voudriez gérer à votre convenance.

- le bruit :

Votre voisin(e) peut crier pendant le jour, ou pire pendant la nuit.

La télévision du voisin que vous ne souhaitez pas voir et entendre, son poste de radio que vous ne souhaitez pas écouter.

De manière plus générale, l’insonorisation des locaux brille souvent par son absence. En effet, un patient qui crie, même hébergé en chambre individuelle, peut représenter une gêne pour ses voisins situés dans les chambres attenantes, voire distantes, ou même d’un étage à l’autre.

- les odeurs : les odeurs corporelles et celles des excréments, sans compter certaines eaux de toilette peuvent représenter une gêne inacceptable.

Les plaies et pansements malodorants ne sont pas rares dans un service appelé à soigner des malades gravement atteints.

d) Une surveillance et des soins sont parfois nécessaires à votre voisin, mais peuvent vous réveiller pendant la nuit. Ici aussi, la chambre individuelle évite de faire subir la surveillance intensive d'un malade à son voisin de chambre.

2 - Des besoins et des désirs impossibles à satisfaire de manière digne

a)  La pudeur bafouée

Faire ses besoins devant son voisin de chambre, en particulier dans les chambres dépourvues de W-C ne peut que bafouer votre pudeur et nous renvoyer à des temps heureusement révolus. Pourtant, la prise en charge de l’incontinence consiste aussi à amener les résidents sur le siège garde-robe à défaut de W-C, en particulier dans les cas d’incontinence fonctionnelle.

Se retrouver nu devant son voisin pendant les actes de soins tels que toilettes et changes est une situation qui dévalorise un peu plus le corps vieilli ainsi exposé.

Les manifestations affectives avec votre famille deviennent très difficiles et ne manquent pas de provoquer une gêne à l’expression des sentiments envers les personnes que vous aimez. Lors d’une visite de votre conjoint ou de votre parent, quelle liberté est laissée à l’expression spontanée, intime des gestes et des paroles de tendresse ? C’est un point très important, pour permettre aux uns et aux autres notamment de vivre pleinement le temps du pré-deuil, pour éviter les risques du deuil blanc.

Les visites des bénévoles (Aumônerie, Visiteurs de Malades en Etablissements Hospitaliers) devraient être des rencontres individuelles et privilégiées où s’exprime une solidarité spécifique, donc intime, à chacune des personnes visitées.

Lors des visites de la psychologue se produit une rencontre très personnelle, qui nécessite un espace-temps de confidentialité particulier, une continuité dans l’élaboration de la personne soignée sur sa situation, ses émotions, son vécu, et une écoute attentive et active.

La proximité d’un voisin pose un obstacle supplémentaire à l’expression de la sexualité : par exemple, la masturbation devient plus problématique car honteuse si elle est soupçonnée.

b) Des désirs élémentaires impossibles à réaliser

La télévision que vous souhaitez voir et entendre, y compris dans la nuit, mais qui indispose votre voisin.

La radio que vous souhaitez entendre, y compris dans la nuit, mais qui indispose votre voisin.

La lumière que vous voudriez voir allumée, par exemple pour lire le soir, mais qui gêne votre voisin.

Les confidences que vous faites ou qui vous sont faites par votre famille n’en sont plus.

3- Le secret médical violé

L’interrogatoire médical en gériatrie porte, encore davantage que chez l’adulte, sur des éléments disparates de la vie des personnes examinées. L’interrogatoire et l’examen médical clinique sont le plus souvent écoutés par un voisin désœuvré et curieux de connaître la vie de son compagnon de chambre. Qui plus est, la presbyacousie des patients oblige souvent à hausser le ton de la voix en l’articulant de telle manière qu’elle soit souvent audible et compréhensible par le voisin de chambre. Ainsi, il est à la fois souhaitable et légal d’informer le patient sur l’état de sa santé tel qu’il est perçu par les soignants tout au long de son séjour dans le service. Et aussi de l’informer des thérapeutiques qui sont envisagées et qui lui sont proposées. Si l’on n’y prend garde, il n’est pas rare que la famille d’un autre résident se mette de même à l’écoute.

Le respect du secret médical est bien souvent oublié envers cette clientèle âgée, malade et handicapée. Or, par exemple, il convient de ne jamais parler de sa santé devant un tiers sans l’accord du malade concerné.

4- L’examen médical perturbé

L’examen médical requiert le silence ambiant dans plusieurs de ses phases : interrogatoire souvent rendu laborieux par les troubles sensoriels, auscultation, percussion de la cage thoracique et de l’abdomen sans compter avec l’auscultation du cœur et des gros vaisseaux. Le silence est parfois difficile à obtenir chez des patients souffrant de troubles cognitifs. Il n’est pas rare que le voisin de chambre s’adresse de manière incessante au médecin pour l’entretenir de son propre état de santé. Ou encore réponde aux questions qui ne lui sont pas destinées. 

Par ailleurs, il n’est plus possible de laisser marcher la télévision ou la radio du voisin de chambre. Il n’est pas souhaitable qu’il bénéficie alors des soins de nursing car l’examen est alors facilement rendu impossible par le dialogue ou le monologue qui s’instaurent. Enfin, le voisin est alors privé des visites qui comptent tant pour lui.

La visite médicale quotidienne auprès des malades est d’autant plus malaisée que la famille du voisin est présente et ne comprend pas toujours qu’il convient de s’absenter pour le temps de prise en compte des problèmes qui ne la concernent pas.

5- Les soins de nursing perturbés.

Du fait de la nécessité du silence lors de l’interrogatoire et de l’examen clinique d’un résident, les soins dits de nursing du résident et de son voisin doivent être effectués avant l’examen médical considéré. Cette situation crée une nouvelle contrainte sur des personnels soignants qui en subissent déjà beaucoup.

6- Le risque de transmission croisée des infections, qu’elles soient  nosocomiales on non

Notons qu’il est toujours difficile de pratiquer un isolement strict dans un lieu de vie. La proximité entre deux résidents rend difficile l’isolement souhaité lors des infections à bacilles multirésistants. Cette situation est d’autant plus préoccupante si les patients sont incapables de comprendre les précautions d’hygiène mises en place. C’est ainsi que des contacts indus entre résidents sont toujours possibles chez des personnes désorientées ou qui souffrent tout simplement de troubles de la mémoire. Ce risque est accru par la proximité dans la même chambre, surtout si elle est exiguë. 

7- Les stades sévères des maladies somatiques aigues ainsi que la fin de la vie sont particulièrement difficiles à vivre en dehors d’une chambre individuelle. Les familles sont souvent choquées par la proximité d’un voisin mourant dans la chambre de leur parent.

8- Des erreurs plus fréquentes

Confondre deux résidents n'est pas exceptionnel, en particulier dans le domaine de l'administration des médicaments. La coexistence en chambre collective accroit ce risque.

9- Qu’en est-il de l’autonomie de la personne, de sa capacité à faire des choix pour sa vie ?

La personne subit-elle la cohabitation de plein gré ou par défaut de moyen financier ? Cette dernière contrainte est encore plus nette lorsqu’il existe un tarif différentiel entre les chambres individuelles et les chambres collectives. A ma connaissance, lorsqu’il existe une telle différence, c’est toujours dans le sens d’un tarif plus élevé pour les chambres individuelles. Un constat en forme de désaveu sonnant et trébuchant pour la chambre collective.

La personne ne choisit pas son voisin de chambre. Sauf exception, la marge de manœuvre est trop étroite dans un contexte de remplissage maximal. Dans ces conditions, comment répondre aux besoins d’appartenance, de convivialité ?

Ainsi, la personne peut être contrainte à une imprégnation délétère de la présence de l’autre et de sa maladie, de son handicap, de son état psychoaffectif. Cette situation est à même d’entraîner des revendications inappropriées en termes de quantité de présence, de soins, de temps passé par les soignants auprès de son voisin.

La personne peut être contrainte à la confrontation du vide relationnel qui l’entoure quand l’autre reçoit beaucoup de visites : peuvent alors s’exprimer des tentatives d’attraction du visiteur à son intention, de l’agression contre les visiteurs, ou des attitudes obstinément silencieuses alourdissant l’ambiance.

Ces différentes contraintes peuvent conduire à des mécanismes d’auto-protection tels qu’agressivité et opposition, résignation par imprégnation, auto-déshumanisation ou même auto-destruction. Nous serons alors tentés de parler d’incohérence, de troubles de comportement et d’étiquetage rapide de démence alors que nous sommes dans un contexte de désorientation sociale très fréquent chez les personnes âgées et peu pris en compte dans les hypothèses de troubles de comportement.

B - Avantages liés à la présence d’un voisin de chambre

Il peut y avoir aussi des aspects positifs dans le partage d’une chambre : dans les cas où les intervenants et autres visiteurs peuvent être des médiateurs de rencontre entre les deux cohabitants ; où une certaine solidarité sous forme d’entraide ou d’encouragement mutuel peut s’exprimer… ; où les uns vont veiller sur les autres et se sécuriser mutuellement …

Le tout est de savoir gérer la durée, les événements pathologiques et leurs conséquences sur cette cohabitation.

Un autre "avantage", plus caché, est celui du moindre coût à la charge dela famille. En effet, il est fréqeunt qu'un prix différetniel soit imposé pour les chambre sindividuelles.

III- Des questions pour des situations douloureuses

On observe à la fois la promiscuité et la banalisation de la sphère privée de la chambre, tant par la personne âgée que par les soignants ou les visiteurs.

La personne paie un loyer, elle est donc censée être chez elle. Sauf que l’espace de ce « chez soi » est partagé avec un voisin immédiat de chambre et sans cesse envahi par les différents visiteurs et intervenants. Tout au long de la vie, la chambre est un espace privé où s'exerce une part essentielle de l'intimité du couple. Brutalement, cet espace doit être partagé dans un contexte de rupture du lieu commun de vie, que le conjoint soit vivant ou même décédé. Il s'agit ici d'une "double peine" générant souvent une insondable souffrance.

Chambre d’hôpital, chambre de soins ou lieu de vie personnalisé pour vivre au sens plein du terme ?

Lieu de vie et de repos, de récupération ou carrefour d’allers et venues, espace sans cesse parcouru sans les rites habituels de franchissement des seuils : si la porte est toujours ouverte, impossible de frapper avant d’entrer, mais aussi impossible de l’autre côté de donner ou non l’autorisation ! Tout est confus, mélangé, espace du dehors, espace du dedans, espace du soignant, espace du soigné, quelle limite symbolique à mon pouvoir sur l’autre peut résister à cette confusion ? Quand je suis entré sans frapper dans dix chambres d’affilée dont les portes sont ouvertes, comment me comporterai-je devant la onzième dont la porte sera fermée ?

Laisser la porte ouverte ou la fermer : qui fait le choix ? Pour quelles raisons ? Et quand on est deux dans une chambre, quelle décision peut prévaloir sur l’autre ?

L’information des familles et la formation des personnels demeure largement à effectuer, aux niveaux à la fois préventif et légal dans ce domaine sensible.

Les familles redoutent de payer davantage pour des chambres individuelles. Il conviendra de les rassurer sur ce point si les tarifs ne sont pas différents. Une solution différente est une aberration qui entretient une différence inadmissible de niveau d’hébergement dans un pays républicain qui a inscrit l’égalité à ses frontons.

La chambre individuelle devrait devenir un choix possible dans une optique de soins et de vie, ces deux notions étant intimement liées. Ceci toutefois au risque d’un sentiment de solitude pour certains résidents, voire pour des familles qui se rendent mutuellement service. Cette dernière donne est possible en chambre individuelle mais elle est probablement plus prégnante en chambre collective.

Conclusions

Il convient de généraliser les chambres individuelles pour améliorer la qualité de vie de nos aînés. Seule une minorité d’entre eux souhaite cohabiter avec un voisin de chambre.

Dans la situation encore trop fréquente d’un grand nombre de chambres collectives, il convient de réserver les chambres individuelles pour les résidents qui présentent des troubles du comportement incompatibles avec toute cohabitation.  Dans cette optique, il ne faut pas que les tarifs soient différents entre les deux modalités d’hébergement sous peine de voir les chambres individuelles occupées par les résidents qui sont mieux pourvus financièrement.

Enfin, les acteurs de terrain doivent trouver toute leur place dans les décisions relatives à la conception et à la construction de nouvelles structures d'hébergement et de soins.


[1] La citation bibliographique de cette définition est la suivante : Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19 juin -22 juillet 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. La définition n'a pas été modifiée depuis 1946.

[2] © Encyclopædia Universalis 2006, tous droits réservés

[3] © id.

[4] EHPAD : établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, dénomination française pour des lieux devenus progressivement des structures pour personnes âgées souvent malades.

[5] Enquête EHPA de la DREES en 2003. Ces données ne sont pas disponibles pour l’enquête EHPA 2007 au moment de la rédaction de ce texte.


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