Traçabilité ou tracabilité

 mise en ligne le 29 décembre 2014

Rendant récemment visite à une personne âgée hospitalisée, j’eus la surprise de lire de manière indiscrète une note de service faisant état de « tracabilité ». Ce lapsus calami motivé par l’incomplétude locale de la maîtrise du traitement de texte m’a interpellé. Je me suis demandé si un fond de vérité se cachait derrière cette coquille dont Sigmund nous aurait sûrement révélé quelque secret.

Le mot « traçabilité » est en effet une des dernières coqueluches de nos notes administratives. Ceci repose sur la nécessité de mieux connaître nos pratiques et de pouvoir en répondre. Bien.

Toutefois, il convient peut-être de s’arrêter quelques instants pour contempler l’évolution des concepts de soins : le mot « humanisation » est insidieusement remplacé par « évaluation » devenu le seul audible.  La traçabilité serait censée permettre la reconnaissance de nos professions, voire le maintien des ratios de personnels. Qui voudra bien me le démontrer ? La création d’outils d’évaluation en tous genres permettrait une standardisation souhaitable des pratiques. Sans nier leur intérêt, il faudra prouver que tout peut être mesuré, quantifié, maîtrisé, planifié. Le tout aboutissant à des scores, des formules et des algorithmes qui font la joie du logiciel Excel et de ses magnifiques graphiques ! A condition toutefois que quelqu’un prenne la peine de comprendre et d’interpréter les masses gigantesques de données ainsi accumulées. Et que cette éventuelle synthèse ne demeure pas secrète en servant seulement à "optimiser" les moyens, notion souvent synonyme de réduction.

Il est loisible d’imaginer aussi que cette supervision est restituée aux soignants et aux usagers. Un rêve.

Les infirmières et les aides-soignantes contemplent longuement et régulièrement leur ordinateur. Les mauvaises langues disent qu’elles y échangent quelques micro-organismes sur le clavier. D’autres, plus négatives encore, nous disent qu’elles n’ont plus le temps de regarder leurs malades. Qui écoute les résidents ? Qui répercute ce message des soignants ? Vouloir rassurer le public sera vain et contreproductif si la vérité est dissimulée.

Ne serait-on pas allé trop loin en voulant appliquer des techniques industrielles et commerciales à nos institutions soignantes ? Aurait-on oublié l’accompagnement humain qui serait désormais dévolu aux rares psychologues ? Nos formations scientifiques et techniques ne devraient-elles faire une plus large place au sens du soin, à l’éthique, à la relation au malade et aux autres membres de l’équipe soignante ?

 



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