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mise en ligne le 14 janvier 2005

dernière modification de forme le 10 juillet 2017

Pourquoi la demande concernant le pronostic vital est aussi présente de la part des familles des résidents de Soins de Longue Durée ?

Remarque préliminaire : cette réflexion fait partie d'un ensemble d'interrogations liées aux situations palliatives fréquentes chez les personnes âgées en Soins de Longue Durée.

Voir aussi par exemple : pourquoi la demande d'euthanasie est-elle rare en Soins de Longue Durée ? Essai d'analyse par l'auteur de ce site.

La lectrice ou le lecteur est invité(e) à donner son avis sur le fond et sur la forme.


Plan

Introduction

La souffrance comme premier déterminant de la demande

Conclusion


 

Introduction : le pronostic[1] vital est souvent une énigme en Soins de Longue Durée.

 La demande de pronostic est fréquente, majoritaire de la part de l'entourage des résidents. Elle s'adresse aux soignants, en particulier au médecin, surtout en cas d'aggravation de l'état de santé du résident.

Nous avons voulu comprendre le sens de cette requête. Elle contraste par sa fréquence et son intensité avec celle qui émane des résidents eux-mêmes.

Seuls quelques indices permettraient, dans la littérature, d’ébaucher un pronostic flou, surtout en dehors des pathologies clairement mortelles telles que certains cancers ou encore le SIDA.

Le traitement efficace des grandes pathologies somatiques extra-cérébrales laisse souvent la démence comme seul déterminant du pronostic fonctionnel et même du pronostic vital, essentiellement par le biais de la dénutrition.

L’apparition d’une nouvelle dépendance ou encore une baisse d'un marqueur de la nutrition tel que l'albumine pourraient être des indices de mauvais pronostic, notions qui fournissent des indications peu fiables pour un délai incertain.

La relation entre le pronostic réel et supposé est d’autant plus complexe que le pronostic supposé peut être variable, voire d’appréciation opposée entre soignants et familles : pronSP.html

Ainsi, il est bien admis que la plus grande prudence est de rigueur.

La souffrance comme premier déterminant de la demande

La souffrance des résidents peut influencer le pronostic supposé

Elles est souvent liées aux "4 D" :

- la dépendance pour les actes de la vie quotidienne,

- la dépression,

- la douleur,

- la démence le plus souvent parvenue aux stades 6 ou 7 de la GDS (Echelle Globale de Détérioration) GDeteriorationS.html

Il faudrait souvent compléter aussi ce tableau par celui de la polypathologie ou encore de l’anxiété. Naturellement, il faut ajouter les multiples deuils que subissent les personnes qui se trouvent dans cette situation :

- perte du conjoint, voire des enfants,

- perte du domicile,

- perte de la liberté de déplacement qui remet en question les recommandations les plus optimistes telles que celles de la charte française des personnes âgées dépendantes : FNG.html

- éloignement géographique ou affectif des proches.

La souffrance des familles

Les considérations ci-dessous sont rarement exprimées nettement, comme telles. Souvent, en l’absence d’approche approfondie, nous ne pouvons que les supposer.

Le décès de la personne âgée représenterait la fin d’une forme de souffrance de la famille dans son vécu d’impuissance vis-à-vis des souffrances réelles ou supposées du résident : une épreuve insupportable.

La méconnaissance de l’évolution de la pathologie démentielle est liée à de nombreux facteurs :

- un long passé d’imputation de la démence à la vieillesse qualifiée autrefois de sénilité ou de gâtisme,

- le déni encore actuel de la pathologie démentielle qui se voit encore assimilée aux effets du seul grand âge,

- l’identification des troubles du comportement à de simples exagérations des tendances de la personnalité antérieure,

- la crainte d’une pathologie réputée incurable et mobilisatrice de soins et de présence « naturelle »,

- l’absence de diagnostic des démences dans une proportion encore élevée des cas, de l’ordre de 50 pour cent en France,

-   le polymorphisme de cette pathologie et de son évolution avec des écarts de pronostic vital pouvant varier de 1 à 8 (de 2 à 16 ans),

- la difficulté, même pour les spécialistes, de se prononcer clairement sur le pronostic vital auprès de la famille du malade,

La souffrance financière est liée à la participation importante des résidents et de leurs familles à la prise en charge pécuniaire de la situation pathologique et de la dépendance pour les actes de la vie quotidienne.

La famille peut être directement concernée si elle est en attente d’un héritage ou encore si elle doit contribuer elle-même à la prise en charge. Ici interviennent les faibles revenus ou un faible patrimoine. Elle peut ainsi être indirectement soucieuse car le résident voit ses revenus consacrés à sa prise en charge médicale et paramédicale sous couvert d’hébergement : une somme qui ne reviendra désormais plus à la famille.

La planification de la vie moderne

La vie moderne est désormais planifiée au mois près, au jour près, parfois à l’heure près.

Outre l’impression d’absence d’imprévu, cette manière de vivre tend à générer un sentiment de sécurité. Le développement récent des assurances en tous genres est un témoin direct de cette volonté collective et individuelle d’anticiper tous les événements redoutés. La mort demeure encore un événement familial à caractère moralement obligatoire dans la présence aux obsèques ainsi que pour leur l’organisation et la participation aux frais.

Elle requiert donc l’interruption de processus de vie en cours de réalisation. Elle dérange un agencement parfois très complexe.

L’éloignement des familles

Il est lié à leur éclatement géographique, surtout sous la pression du marché du travail. Cette dispersion vient renforcer la nécessité réelle ou supposée de la connaissance du moment du décès.

Un aspect particulier est l’éloignement géographique lors des vacances qui sont parfois passées à l’autre bout du monde. Paradoxalement, à l’heure d’Internet et des téléphones planétaires, il n’est pas toujours aisé de disposer des coordonnées des familles pour les avertir à temps, surtout quand le décès survient rapidement.

L’état sanitaire des proches

Il est lui aussi potentiellement problématique. Les proches de la même génération sont eux aussi âgés, souvent malades ou dépendants. Se rendre auprès de son parent mourrant n’est pas toujours facile pour des raisons de santé propres au visiteur.

Une présence jugée indispensable :

Pourtant, il existe une volonté fréquente des familles d’être présentes au moment précis du décès. Mission le plus souvent impossible en pratique. Ce désir est probablement très ancré dans la culture familiale comme une nécessité morale forte. La mort, il n’y a pas si longtemps, avait lieu dans les familles : il s’agissait d’un événement social familial. Vers 1970 encore, quand une personne était sur le point de mourir à l’hôpital, il était fréquent de la renvoyer dans sa famille. A présent, le mouvement inverse est prédominant : la mort a lieu 4 fois sur 5 hors du domicile en attendant probablement le jour où cette situation minoritaire aura disparu sauf exception.

Ce paradoxe crée une contrainte de principe qui ne peut pas être apaisée pour plusieurs motifs :

- comme nous l'avons évoquée plus haut, l’impossibilité de fixer le pronostic vital de manière précise, même en phase terminale,

-  la difficulté, voire l’impossibilité d’héberger décemment une famille fragile ou nombreuse auprès du résident pour une période longue afin de ne pas « rater » le décès,

- même présente, la famille doit s’absenter de la chambre du malade de manière intermittente pour des raisons variées.

La confusion entre la mort sociale et la mort biologique

Les services de Soins de Longue Durée et déjà certains EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) ont la réputation d’être des mouroirs. Cette opinion peut engendrer une attente logique de la réalisation de la mission supposée de ces institutions : « on y va pour mourir ».

La croyance dans la pratique cachée de l’euthanasie active ou encore de l’abandon thérapeutique peut se traduire librement par une demande insistante de « non acharnement thérapeutique ».

La souffrance des soignants

Il convient de ne pas oublier la dimension soignante. Suivant l’ambiance, les sentiments et opinions renvoyées à la famille, le désir de voir se terminer une situation de dégradation importante sera plus ou moins fort. Les soignants sont rarement eux-mêmes accompagnés. Il y aura ainsi parfois une influence peu maîtrisée des paroles et des comportements des soignants face à l’attente des familles.

Pour leur part, dans un  souci de respect de la personne, les soignants n’exercent pas une contrainte pour obliger les personnes âgées à manger contre leur volonté. Cette situation d’incitation, de proposition mais non de contrainte peut amener à une persistance d’une situation de déclin extrême sans décès si une pathologie évolutive n’est pas à l'oeuvre de manière concomitante.

La souffrance sociétale et institutionnelle

Il convient de ne pas entrevoir que l’aspect de la souffrance des individus, mais aussi celle de la société toute entière représentée par l’institution. Soucieuse de se cacher la réalité de la souffrance à des fins avant tout pragmatiques, notre société de production et de consommation a beaucoup de difficultés à admettre la réalité de cette nouvelle façon massive de terminer ses jours. (Voir à ce propos le livre de Régis Debray intitulé « Le plan vermeil, modeste proposition » paru en 2004 chez Gallimard, ISBN 2-07-077299-3).

Il convient toutefois de nuancer le problème de l'institution. Pour elle, il n'existe généralement pas de difficulté de gestion en cas de décès : un autre résident prendra la place du précédent du fait d’une offre inférieure à la demande.

Conclusion

La demande de pronostic vital est fréquente, quasi constante, de la part de la famille en Soins de Longue Durée. Elle traduit souvent une attente indiscible. Elle connaît de nombreuses causes qu’il convient d’explorer pour limiter la souffrance qui lui est attachée.

Au-delà des généralités, chaque cas est particulier et ne répond pas stricto sensu aux éléments exposés ci-dessus. Elle rend compte d’un fréquent malentendu sur les objectifs de soins. S’il existe bel et bien un consensus pour honorer le confort du patient (le « comment ?»), la question demeure posée différemment selon la famille ou les soignants (« le quand ? »).

Ainsi, le « comment » semble généralement devenu consensuel alors que le « quand » demeure surtout un souci des familles.


[1] Pronostic : Nom masculin singulier :

1 - prévision, supposition

2 - estimation de l'évolution probable d'une maladie

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